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Biographie

Li Shuang – Une voix libre dans l’histoire de l’art chinois

 

Li Shuang est l’une des voix les plus singulières de l’histoire de l’avant-garde artistique chinoise. Marquée par une liberté intérieure rare, elle a traversé la répression politique et l’exil personnel pour devenir, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, une figure centrale de la résistance artistique post-Mao. Elle est aussi la seule femme fondatrice du groupe des Étoiles (Xingxing) le tout premier collectif d’artistes contemporains à contester publiquement le contrôle idéologique en Chine.

 

En 1983, The New York Times la décrit comme « l’une des premières artistes-performeuses chinoises, la plus courageuse, prête à tout pour l’art et la liberté ».

 

Née à Pékin en 1957 dans une famille d’intellectuels et de grands érudits, Li Shuang est très tôt confrontée à la violence des campagnes politiques. Son père, professeur d’architecture à l’université Tsinghua, est déclaré « droitier » en 1957 et envoyé travailler sur le chantier de la place Tian’anmen, officiellement comme ouvrier, mais en réalité en tant que responsable principal de la construction. Sa mère, professeure d’anglais à l’université de Pékin, est punie par « solidarité de faute » et envoyée en rééducation dans le nord-est de la Chine, à la place de son mari.

 

Li Shuang est aussi d’origine tibétaine par sa lignée maternelle. Ses grands-parents, issus d’une famille noble, s’étaient réfugiés à Pékin à la fin du XIXe siècle pour fuir les persécutions religieuses. Son grand-père devint un célèbre collectionneur d’antiquités, dont la collection fut confisquée ou détruite par les Gardes rouges pendant la Révolution culturelle. De ce passé blessé et de cette richesse culturelle est née très tôt, chez Li Shuang, une quête intérieure mêlant lumière et obscurité. À 13 ans, une vieille boîte de peinture offerte par sa tante déclenche une vocation qui ne l’a jamais quittée.

 

 

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En 1976, peu avant la mort de Mao, elle est envoyée à la campagne dans le cadre du mouvement "Monter à la campagne". Après le rétablissement des concours d’entrée à l’université, elle tente sans succès d’intégrer une académie d’art — sa "condition politique" étant jugée insuffisante. Mais son talent est vite remarqué, et elle est engagée comme scénographe par le Théâtre national de la jeunesse.

 

C’est en 1978, alors encore à la campagne, qu’elle rencontre Ma Desheng, Huang Rui, Wang Keping, Ai Weiwei et d’autres jeunes artistes marginaux. Ensemble, ils fondent en 1979 le groupe Xingxing (Les Étoiles), qui organise une première exposition clandestine sur les grilles d’un parc public à Pékin. En lien avec la revue littéraire indépendante Aujourd’hui (Jintian), le groupe appelle à la liberté d’expression artistique. Leur manifeste proclame : « Je suis maître de moi-même. L’art doit être libre. »

 

Très vite, Li Shuang attire l’attention des autorités, autant pour sa liberté de pensée que pour la force émotionnelle de son œuvre. En 1981, peu après la clôture d’une exposition des Étoiles au musée des Beaux-Arts de Pékin, elle est arrêtée dans un appartement diplomatique. Officiellement, il s’agirait d’une sanction pour sa relation amoureuse avec un diplomate français. En réalité, son engagement artistique et ses liens avec la scène littéraire indépendante sont visés. Subissant trois mois d’interrogatoires et de détention à l’isolement, elle résiste aux pressions et ne trahit aucun de ses compagnons. Elle sera condamnée à deux ans de prison.

 

Grâce à la mobilisation internationale, elle reçoit en détention une boîte de pastels et du papier. Ses dessins, réalisés dans les conditions les plus rudes, sont d’une intensité inédite : visionnaires, puissants, porteurs d’une vérité crue et prophétique.

 

L’affaire fait grand bruit : elle devient la première femme emprisonnée en Chine pour avoir aimé un étranger. Soutenue depuis Paris par des artistes et intellectuels, Li Shuang est finalement libérée en 1983, à la suite d’une intervention directe du président François Mitterrand auprès de Deng Xiaoping. Peu après, la Chine assouplit la loi sur les mariages mixtes — une conséquence directe de ce cas symbolique.

 

Installée en France, elle poursuit son travail de création, développant un langage plastique singulier mêlant traditions chinoises et modernité occidentale. En 2007, elle figure au 350e rang mondial des artistes aux enchères. Pourtant, au sommet de sa notoriété, elle choisit de se retirer du marché de l’art et se réfugie dans un petit village en lisière de la forêt de Fontainebleau. Là, loin des projecteurs, elle poursuit une quête artistique intérieure, en dehors des attentes du monde.

 

« Je refuse d’être réduite à une image de victime politique, ni d’exploiter la souffrance pour récolter des applaudissements. Je suis une artiste honnête, pas une actrice. »

 

Dans cette période d’exil volontaire, elle écrit trois livres : Mémoires privées des années 1970, Célébrer la mort et Retour au désert de sable. Un quatrième, encore inédit, évoque une plongée dans les profondeurs du monde :

 

 « Je suis partie pour m’immerger dans le trou noir au fond de l’océan. Si je reviens un jour avec un cadeau venu de là-bas, le monde sera-t-il prêt à écouter ce silence ? »

 

En 2024, alors que le Centre Pompidou commence à exposer les œuvres du groupe des Étoiles, la rumeur d’un retour sur la scène internationale se propage. Li Shuang travaille à une nouvelle série ambitieuse : « Portraits des dieux », une fresque traversant les mythes et civilisations – du Shan Hai Jing chinois aux divinités indiennes, grecques, égyptiennes. Une tentative de tisser un dialogue spirituel entre les cultures, les âges et les mondes.

 

Son histoire est entrée dans la légende, mais elle demeure habitée par un mystère vivant. Elle conclut :

 

« Quand nous levons les yeux vers le ciel, ce que nous voyons, ce sont les souvenirs de lumières déjà éteintes. L’art est ce que les étoiles nous laissent en héritage. Il éclaire les parties de nous-mêmes qui ne se sont pas encore réveillées. Je ne cherche pas à figer l’histoire des Étoiles, mais à faire rayonner la lumière qu’elles ont allumée — et qui brûle encore dans chacun de mes gestes de création. »

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