Les Etoiles de Pekin
Xing xing 星星


Texte d'introduction de l'exposition des Etoiles, septembre 1979
“Nous, vingt-trois artistes-chercheurs, exposons quelques résultats de nos travaux. Le monde offre aux chercheurs des possibilités sans limites. Nous nous servons de nos propres yeux pour connaître le monde, et y participons avec nos pinceaux et nos ciseaux. Dans nos peintures, il y a toutes sortes d’expressions, qui reflètent l’idéal de chacun d’entre nous.
Le temps vient à notre rencontre, aucune prédiction magique ne dicte nos actes, c’est la seule vie qui nous défie. Nous ne pouvons arrêter le temps à l’instant présent, les ombres du passé et les lumières du futur sont ensemble accumulées, et forment notre environnement à multiples facettes. Continuer résolument à vivre, retenir chaque enseignement, telles sont nos responsabilités.
Nous aimons profondément la glèbe qui est sous nos pieds. La terre nous a nourris. Nous n’avons aucun moyen de lui exprimer par des mots notre reconnaissance. Nous profitons du 30ème anniversaire de la République populaire de Chine pour dédier nos récoltes à la Terre, au Peuple. Cela nous rend plus proches. Nous sommes remplis de confiance.”

Vue de la première exposition des Étoiles en 1979 sur les grilles du Musée des beaux arts de Beijing.

Les Étoiles en présence d'une journaliste occidental avec ; Ma Desheng, Yan Li, Li Shuang, Huang Hui, Qu Lei Lei.

2024, Inauguration de la collection des Étoiles du Centre Pompidou Paris avec Li Shuang, Wang Keping et Ma De Sheng.

Vue de la première exposition des Étoiles en 1979 sur les grilles du Musée des beaux arts de Beijing.
Une constellation de liberté dans la Chine post-maoïste
À la fin des années 1970, alors que la Chine entame une lente transition après la Révolution culturelle et la mort de Mao Zedong, un petit groupe d’artistes émerge à Pékin pour revendiquer un droit fondamental : "créer librement".
"Les Étoiles (Xingxing 星星)", comme ils se nomment eux-mêmes, sont peintres, sculpteurs, poètes, souvent autodidactes, parfois rejetés des académies pour leur origine bourgeoise. Parmi eux : Huang Rui, Ma Desheng, Wang Keping, Yan Li, Li Shuang ( la seule femme du groupe ) et d’autres jeunes figures qui refuseront de se plier au dogme du réalisme socialiste.
Le 27 septembre 1979, après s’être vu interdire l’accès à un musée officiel, ils accrochent leurs œuvres sur les grilles d’un parc public jouxtant la Galerie nationale d’art de Chine, en plein cœur de Pékin. L’événement se déroule au même moment que la Cinquième Exposition nationale d’art, vitrine officielle de l’art d’État. Leur initiative fait scandale : la police retire l’exposition au bout de trois jours. En réaction, les artistes manifestent, et le 1er octobre 1979, jour de la fête nationale, défilent dans les rues de Pékin, brandissant des slogans pour la liberté artistique. C’est une première dans l’histoire de la République Populaire.
Cette action s’inscrit dans le climat du "Printemps de Pékin", une période d’ouverture marquée par l’émergence du "Mur de la Démocratie", des écrivains dits "poètes obscurs", et de la revue littéraire indépendante "Aujourd’hui (Jintian 今天)", fondée notamment par Bei Dao. Tous cherchent à redonner une voix au peuple chinois, étouffé depuis des décennies.
Face à la mobilisation, les autorités autorisent une nouvelle exposition officielle des Étoiles en novembre 1979, dans le parc Beihai, puis une autre en août 1980. Mais l’élan est de courte durée : à partir de 1981, une campagne contre la "pollution spirituelle" remet les verrous en place. La plupart des membres du groupe sont contraints à l’exil.
Les œuvres des Étoiles, très diverses dans leur forme – peinture à l’huile, sculpture sur bois, encre, gravure – partagent une volonté de s’éloigner de l’imagerie héroïque et idéalisée du régime. On y découvre des scènes du quotidien, des portraits intimes, une esthétique souvent influencée par les avant-gardes occidentales (impressionnisme, cubisme, surréalisme), et parfois des œuvres symboliques puissantes, comme les sculptures en bois de Wang Keping, dont "Silence" ou "Idole", devenues emblématiques du groupe.
Li Shuang, pour sa part, est arrêtée en 1981 pour sa relation amoureuse avec un diplomate français. Son incarcération, très médiatisée, devient un symbole de la répression culturelle. Grâce à l’intervention du président François Mitterrand, elle est libérée en 1983 et s’installe à Paris, où elle poursuit sa carrière artistique.
Les Étoiles ne constituaient pas un mouvement esthétique cohérent, mais un geste fondateur : celui de reprendre la parole. Leur art était une manière de s’exprimer au nom du peuple sans en être les porte-voix officiels, dans une Chine encore prise entre désir de réforme et résidus d’un autoritarisme idéologique. Leur courage, leur spontanéité, leur audace ont ouvert la voie à l’art contemporain chinois.
Aujourd’hui encore, le nom des Étoiles brille comme celui d’une génération qui a osé dessiner l’espoir dans un ciel verrouillé.